Les politiques sociales
Notes du cours du 22 septembre 2005
Notes (de Martine Gatineau annotée par Agnès Reyrolle, enrichie de liens Web et définitions par Stéphane)
du cours de Marc de . du jeudi 22 sept. 05.
La lutte contre la discrimination [1]
Toute discrimination est négative. Parler de discrimination positive amène une connotation négative. (en France l’expression est connotée négativement).
Les sociétés démocratiques ont pour principe l’égalité de traitement ; dans la réalité, le principe est malmené.
Le terme de discrimination positive correspond à l’idée qui va dans le même esprit que celui de l’ « affirmativ action » aux USA, principe mis en place depuis une trentaine d’année. Il s’agit d’accorder un traitement plus favorable à certaines catégories de population ; de rétablir le principe d’égalité de traitement qui se trouve malmené.
On y fait référence depuis une vingtaine d’année en France au sein de la politique : aménagement du territoire ; politiques sociales…
Les ZEP créé il y a 24 ans en sont un exemple. Il s’agit de donner davantage de moyens à une situation pour que tout le monde soit traité de façon équitable.
Il existe un débat entre les principes d’équité et d’égalité. Cela a entraîné une politique sélective de l’État envers certaines populations par l’intermédiaire d’établissements publics, de politiques de soutien, de budget…
L’école, quelque part, est (est considérée comme) un passeport pour l’emploi, un outil d’égalité des chances face à l’emploi. En période de chômage, on se questionne sur l’efficacité du système scolaire et notamment sur les jeunes qui le quittent sans diplômes.
Il y a eu une démocratisation du système scolaire avec, entre autres, une multiplication des élèves d’une tranche d’âge au baccalauréat. 80 % d’une tranche d’âge accède au niveau du baccalauréat et, 60 à 65 % de cette tranche d’âge obtiennent le bac (contre 20 % il y a ?). On a atteint cet objectif en multipliant les baccalauréats mais leur valeur sociale reste différenciée. Et ceux qui ont le Bac aujourd’hui n’auront pas les mêmes perspectives en terme d’emploi que leurs prédécesseurs. Il persiste des trajectoires et des sélections (ex. pour l’entrée en médecine). Les perspectives ouvertes sont moindres aujourd’hui par le fait de la mondialisation et du décalage entre nombre de diplômés et postes de travail. Par exemple, au sein de la fonction publique territoriale pour le concours d’attaché externe à bac + 3 des lauréats possèdent bac + 5. Il existe une relation étroite entre le niveau de qualification et l’accession à l’emploi. Le baccalauréat ouvre à l’université. C’est un coût financier (les lycéens coûtent 20 % plus cher à l’État qu’un étudiant) et la sélection s’opère rapidement : incapacité à suivre telle étude via l’échec par inaptitude, conditions matérielles etc. C’est un « jeu ridicule à somme nulle » et tout le monde y trouve son compte : l’État voit baisser le nombre de chômeurs, les étudiants ne sont plus des adolescents mais pas encore des adultes à la recherche d’un emploi et l’université évite de se pencher sur le problème.
La démocratisation a entraîné une massification mais l’école reste encore un appareil de reproduction à l’identique. (cf. Bourdieu et Passeron ; Baudelot et Establet).
Mais il reste que moins on est formé, qualifié, plus on a de risque d’être confronté au chômage. Les autres discriminants étant le sexe, l’âge et l’origine ethnique.
En 1960, l’idée du collège unique pousse la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. Il s’agit de proposer les mêmes possibilités de poursuivre les mêmes études à caractère généraliste à tous les enfants. Mais les résultats sont différents en fonction de la zone géographique, des collèges etc.
La vie familiale et les conditions matérielles en sont des variables (cf. François Dubet). Dans un environnement social défavorable, on a moins (de chances) de possibilités de réussites.
Les ZEP s’inscrivent dans un programme de discrimination positive : davantage de crédits, moins d’élèves par classe, plus d’intervenants extérieurs, etc. L’effet pervers en est une stigmatisation de la zone scolaire et la fuite d’une certaine population. La réussite scolaire amorce toujours la trajectoire sociale : 95 % de la demande de sortie de la carte scolaire provient de la part de parents enseignants. C’est un système de consumérisme. (cf. Eric Maurin, Le ghetto social).(en fait, c’est « le ghetto français, enquête sur le séparatisme social » Seuil, la république des idées ; il s’est trompé, j’ai le bouquin… !)
Il faut réaliser la mixité sociale : c’est une doxa[2], c’est une catégorie morale. Elle est contredite par des stratégies individuelles, la possibilité recherchée de changer de trajectoire sociale… (Une injection morale. Mais il faut aussi se questionner sur les limites de la mixité.) Ce qui est visé c’est une mixité en rapport avec l’habitat et le territoire. Les classes sociales supérieures se sont toujours fondées sur la discrimination, la différence : il faut qu’elles vivent dans tel milieu, environnement. Le principe même de différenciation, c’est le mode de vie, le lieu d’habitation. Les jeux de stratifications sociales jouent contre la mixité sociale. En réalité, il n’y a jamais eu de mixité sociale.
Jusque dans les années 70 a existé une trajectoire d’ascension. On restait dans des immeubles sociaux avant d’accéder à la propriété. (cf. Christine Rochefort, Les petits enfants du siècle). Les familles avaient un emploi et un cadre social : les curés et les « cocos ».
L’arrivée de famille pieds-noirs avec leur coutume et mode de vies différents fut la première problématique. La seconde émerge avec les travailleurs immigrés. Ces derniers ne pouvant plus cumuler leurs congés payés (ce cumul leur permettant auparavant de retourner pour un à trois ans au pays) font venir leur famille. Leur mode de vie « horizontal » dans un lieu à la « vertical » entraîne une inadéquation. A cela va s’ajouter le chômage et les difficultés (loyer, charges etc.).
La politique de la ville et HVS (Habitation et Vie Sociale) se veulent des réponses politiques.
Le collège unique va se mettre en place au même moment où la population va changer (parents ne maîtrisant pas la langue et ne pouvant aider leurs enfants) comme par exemple avec le regroupement familial.
Ce programme de discrimination positive devait permettre l’augmentation des connaissances des enfants mais cela entraîne un effet d’étiquetage, donc un effet pervers.
De même un métier qui se féminise est un métier qui se dévalorise.
La discrimination positive peut être intéressante, mais est à manier avec précautions…
Le problème réside en la crainte du chômage. Puisque nous n’y arrivons pas avec le système scolaire, on se tourne vers les politiques de l’emploi (dispositif TRACE). Mais, cela crée à chaque fois des effets d’aubaine. Exemple : les zones franches urbaines. La définition de ces zones peut être considérée comme injuste pour ceux qui se retrouvent à la limite. On peut favoriser l’implantation d’une usine mais, si les ouvriers viennent de l’extérieur…ou si les employés de la région ne sont pas qualifiés…
Autre exemple : le CV anonyme. Nous sommes au cœur de la protection sociale.
L’Europe Sociale
-Traité de Rome de 1957
On doit favoriser la libre circulation des biens, marchandises, capitaux et des personnes. La libre circulation des personnes pose le problème de la protection sociale. Celle-ci est différente selon les pays. Par exemple, en France c’est un système de répartition nationale. En Allemagne, c’est un système de répartition décentrée, par « land ». Comment peut-on résoudre l’égalité de traitement ?
-Traité de Maastricht, 1992
Il s’agit de relever le niveau de vie et la cohésion économique et sociale entre les états membres.
FSE : Fond Social Européen. C’est un outil qui doit combler les déficits et aider les régions les plus défavorisées. Par exemple on pourra l’utiliser pour « recaser » les licenciés de Hewlett Packard. Il s’agit d’accompagner les transformations, les modifications mais non de les empêcher. La FSE a comme priorité d’action le chômage de longue durée. Pour résoudre une partie du problème de main-d’œuvre et des futurs retraités, proposition est faîte d’allonger la durée du temps de travail et d’accompagner ces mesures par des aménagements pour les emplois pénibles.
-Traité d’Amsterdam, 1998/99
La question de l’emploi est remise au cœur des préoccupations. Le chômage est différent en fonction des pays (par rapport au niveau, à sa nature). Si il existe un taux de chômage important en France, cela n’est pas dû à l’Europe qui n’est pas la solution à nos problèmes. L’union européenne est un ensemble d’états qui n’ont pas les mêmes caractéristiques ni le même fonctionnement au même moment. Créer une Europe sociale est très difficile car nous n’en n’attendons pas tous la même chose.
Aujourd’hui, existe le souci d’harmoniser, de se différencier et en même temps de rester à l’identique. Les délocalisations sont porteuses pour l’économie mais l’impact est différent en fonction de la trajectoire individuelle. La France pratique elle aussi le « dumping » social.
L’élaboration du système LMD (ou 3, 5, 8, Licence, Master, Doctorat) correspond à une volonté de reconnaissance des diplômes dans différents pays. Mais cela est à destination des personnes qui peuvent se déplacer et le second cycle s’avère plus sélectif (le 1er cycle étant plus long).
Actuellement, nous sommes revenus au traité de Nice de 2000 qui est un mauvais traité. De plus, nous allons moins pouvoir nous faire entendre, nous sommes « isolés ». Le « non » français au référendum est contradictoire. C’est à la fois un non souverainiste et un non pour plus d’Europe sociale. Les pays d’Europe centrale n’ont pas la même conception que nous de l’Europe. Ils sont plus libéraux et tournés vers les USA. L’Europe s’est révélée plus fragile et est mise en « stand by ». Le projet constitutionnel est mort. Il existe une montée anti-française dans beaucoup de pays : le jeu se joue à 25.
Une des difficultés majeures de notre société est que le temps politique est devenu le temps zéro : on a besoin de recul. Actuellement, la construction européenne va trop vite, notamment au niveau économique. On s’aperçoit qu’il faut l’habiller autrement. L’Europe est lancée sur le plan économique ; mais sur le plan politique…
Il existait une synergie entre l’État et le marché dans les années 45 : la cohésion sociale était assurée par l’exercice d’un emploi salarié à temps plein, au sein d’une entreprise où l’on faisait carrière. Ce qui concernait le travail était encadré par les syndicats et ce qui concernait le social par l’État, la collectivité, les associations etc. Il y avait des luttes syndicales car « il y avait du grain à moudre » et le système keynésien fonctionnait.
Aujourd’hui, environ 10% de la population en âge de travailler est au chômage, à cela s’ajoute les minima sociaux. En tout 15% de cette population est susceptible d’être au chômage ou y est. C’est le halo du chômage.
Notre système de protection sociale est lié à des finalités économiques et sociales. L’État-Providence [3] est en crise car il existe une crise économique. Les prélèvements sociaux sont accusés de freiner l’économie et l’État est incapable de résorber le chômage.
Une partie de la population a des droits en fonction de son activité salariée, une autre en fonction de sa citoyenneté, une autre en fonction de son non rapport au travail, ce sont des « pauvres droits ». La CMU ouvre des droits en l’absence de droits ailleurs.
L’assurance va toujours de pair avec la solidarité et inversement. C’est une question qui nécessite de reprendre notre pacte social.
Nous sommes dans une société ouverte où le rapport au travail n’est plus le même. Faut-il construire en partant de la flexibilité de l’emploi une sécurisation, ou demander aux gens de se prendre en charge eux-mêmes ?
L’employabilité et la flexibilité sont les moteurs de la croissance.
Cf. la loi 2002-2 qui sacralise l’usager ; elle recrée des exclus, car il existe des personnes qui ne peuvent plus travailler, s’insérer.
C’est la même chose pour la logique de l’aménagement du territoire : investir de manière égale dans toutes les régions ou bien dans celles les plus en difficultés et/ou les plus peuplées ?
Le problème c’est que l’on est dans une enveloppe. On ne peut continuer à la laisser se dégrader. Si les taux d’intérêts augmentaient, la dette deviendrait le premier budget de l’État.
Cela renvoie à la question de la justice sociale. Voir John Rawls [4], un très grand philosophe du 20ème siècle, qui a écrit La théorie de la justice. Rawls est pour un contrat social renouvelé qui accepte les inégalités.
[1]
discrimination
nom féminin
1.
Action d'isoler et de
traiter différemment certains individus ou un groupe entier par rapport aux
autres. Discrimination sociale, raciale. (Le petit Larousse)
[2] La doxa, c'est l'ensemble - plus ou moins homogène - de préjugés populaires, de présuppositions généralement admises et évaluées positivement ou négativement, sur lesquelles se fonde toute forme de communication. L'étude du phénomène doxique se situe donc au point de contact de la sémiologie, des études du discours, de la sociologie et de l'épistémologie. (Wikipédia)
[3] L'État-providence est une organisation sociale dans laquelle l'État joue un rôle de régulation de l'économie et de redistribution des richesses.
La notion se distingue entre un sens large, celle de l'État social, qui afin de réaliser ses objectif de justice sociale procède à une redistribution des revenus, et un sens plus restreint, qui est celle de l'état interventionniste dans l'économie. L'État providence s'oppose à la vision d'État gendarme défendu par les libéraux, dans lequel l'intervention public se limite au strict minimum (Police, armée, justice). (Wikipédia)
[4] Rawls (John), philosophe américain (Baltimore 1921). Il est l'auteur d'une analyse des rapports difficiles entre la justice sociale et l'efficacité économique, pour l'exploration desquels il a conçu un puissant appareil conceptuel (Théorie de la justice, 1971). (Le Petit Larousse)
A lire aussi article paru dans :
Tribune parue dans Libération
Discriminer oui, mais mieux
jeudi 20 octobre 2005
L’égalité suppose que l’on s’intéresse au sort des défavorisés et non à ceux qui s’en sortent.
Les propos récurrents de l’actuel ministre de l’Intérieur en faveur de l’instillation d’une certaine dose de discrimination positive, orientation supposée innovante, ne font qu’entretenir une certaine confusion sur le sens qu’il convient de donner à cette notion. S’agit-il de l’assimiler à la fameuse politique d’affirmative action américaine, qui favorise les minorités ethniques particulièrement désavantagées, notamment pour leur accès à l’université et aux emplois publics ou pour l’obtention de marchés d’Etat ? On sait que pour l’instant, si des initiatives ponctuelles dans ce sens peuvent être tolérées, toute politique publique systématique fondée sur une discrimination d’ordre ethnique est proscrite en France par la Constitution. En revanche, il existe bien une orientation de discrimination positive (ou de politique préférentielle) inscrite dans certaines politiques publiques à vocation sociale, telles que la politique des zones d’éducation prioritaire, la politique de la ville, les politiques d’insertion ou le revenu minimum d’insertion. Ces politiques toutefois, fondées sur la situation socio-économique et non sur l’appartenance ethnoculturelle, font l’objet d’un autre type de critique : elles se mouleraient dans l’ordre économique néolibéral, n’agissant en rien sur les mécanismes mêmes de l’inégalité et de l’exclusion. Les deux types de critique encouragement au « communautarisme » et acquiescement au « néolibéralisme » correspondent donc à deux types de discrimination positive qu’il faut distinguer.
Voyons d’abord la discrimination positive sur critère socio-économique. Elle part d’une idée tout à fait pertinente selon laquelle toute politique égalitaire appliquée à des situations inégalitaires au départ ne fait que conforter, voire renforcer cet état de fait. Il faut donc inverser la tendance, donner plus à ceux qui ont moins, afin de compenser les inégalités d’origine. Mais la discrimination positive à la française souffre de deux limites qui l’empêchent de se présenter comme une ressource de justice face à une logique économique néolibérale. Cette discrimination positive n’agit qu’à titre de compensation, de réparation après coup face à des processus inégalitaires qui sont de nature structurelle ; elle n’impose aucune exigence de transformations en profondeur visant à établir des processus plus égalitaires. Par exemple, la politique des zones d’éducation prioritaire se traduit par un renforcement de moyens (enseignants, locaux, programmes, etc.), ce qui ne modifie aucunement les logiques de sélection sociale par l’école, celles-ci s’effectuant au niveau du contenu même du savoir transmis (priorité du savoir abstrait sur le savoir pratique, de l’enseignement général sur l’enseignement technique, etc.). La discrimination positive, ensuite, n’établit aucune relation explicite entre les exigences de justice et celles d’efficacité économique. Les deux questions, de justice sociale et de logique économique, sont d’ailleurs traitées séparément. Ce qui conduit à subordonner le juste par rapport à l’économiquement efficace, à mettre en avant les impératifs économiques pour freiner les réponses à des exigences de justice. Par exemple, les motifs économiques sont couramment avancés pour limiter les minima sociaux, sans qu’il y ait de références explicites à des principes partagés de justice, permettant de confronter les critères de justice et ceux d’efficacité dans ce domaine. On pourrait déduire de cette analyse que la discrimination positive française n’agit certes pas sur les mécanismes fondamentaux de l’injustice, mais qu’au moins elle en limite les effets négatifs. Mais au contraire et c’est certainement la critique la plus forte que l’on peut faire à son égard dans bien des cas elle conduit à entériner et même à renforcer des mécanismes d’exclusion : dans le domaine de l’insertion des chômeurs par exemple, la pratique consistant à favoriser l’intégration des chômeurs les plus proches de l’emploi se traduit par la relégation des autres, les plus en difficulté. La discrimination positive se transforme en discrimination négative !
Faut-il dès lors abandonner la discrimination positive ? S’en tenir à des principes abstraits d’égalité, impuissants face aux inégalités réelles ? Ou, au contraire, chercher à surmonter les limites de la discrimination positive actuellement pratiquée en France pour en faire un instrument réel d’une plus grande justice socio-économique ?
Si l’on choisit cette dernière option, les principes de justice de John Rawls peuvent servir de point d’appui pour conforter l’exigence de justice, à condition d’abandonner une lecture purement idéologique de sa démarche. Le philosophe américain, en effet, a produit la théorisation la plus complète d’une problématique de discrimination positive à vocation générale pour les sociétés démocratiques développées ; et l’on peut d’ailleurs y voir une critique tant de l’affirmative action américaine (qui mélange la « classe » et la « race »), que de la discrimination positive française à caractère plus formel que réel. Prenons deux exemples où l’on pourrait utilement s’adosser aux principes de Rawls pour promouvoir l’exigence de justice.
Face à la sélection sociale par l’école, le second principe de Rawls, sur la juste égalité des chances pour l’accès aux positions sociales, est très clair dans ses attendus : il ne s’agit pas de compenser après coup des situations inégalitaires, mais bien d’agir sur les paramètres de base qui les produisent. Ainsi, toute réforme de l’enseignement ne peut être plus juste que si, au-delà de l’aménagement du système scolaire, elle interroge les fondements mêmes du processus éducatif : la division sociale entre théorie et pratique, le primat de l’abstrait sur le concret.
Face à une mesure plus précise d’insertion professionnelle comme le revenu minimum d’activité (RMA), destinée aux allocataires du RMI les plus éloignés de l’emploi, le principe de différence de Rawls stipule que les mesures d’insertion les plus avantageuses doivent bénéficier aux chômeurs les plus en difficulté, (en tenant compte néanmoins de certaines conditions liées aux contraintes économiques). Or, les caractéristiques du RMA, en l’état actuel, sur les plans de la qualification des chômeurs et de la stabilisation professionnelle notamment, paraissent fort éloignées de celles des contrats d’insertion les plus avantageux.
Notons enfin de façon plus générale que, contrairement à la vision française qui regarde toujours vers le « haut » (nombre d’enfants d’ouvriers, voire d’enfants de Maghrébins ou d’Africains à l’université), la problématique de Rawls invite à regarder vers le « bas » : la qualité d’une société s’appréciant en fonction du sort réservé aux plus défavorisés et non au seul pourcentage de ceux qui ont pu échapper au sort que leur condition sociale d’origine leur destinait.
Ces exemples très simplifiés ne sont présentés ici qu’à titre d’illustration de ce que pourrait être une orientation de discrimination positive réelle sur le plan socio-économique. Dans cette optique, la référence aux principes de Rawls (éventuellement rediscutés et amendés) peut constituer un point d’appui solide à la disposition des syndicats et des associations par exemple, leur permettant de concrétiser une exigence de justice à partir de principes partagés face à l’éternel argument béton de l’impératif économique.
Un mot enfin de l’autre dimension de la discrimination positive, sur critère ethnoculturel. Cette orientation est largement critiquée par nombre d’analystes aux Etats-Unis et d’ailleurs en partie remise en question. Une des critiques les plus stimulantes émane de l’historien et philosophe Michaël Walzer. Pour cet auteur, l’affirmative action repose sur une confusion très contestable entre deux types de « biens sociaux » la richesse matérielle et l’identité culturelle qui ont chacun leur légitimité mais qui ne sont pas substituables. Michaël Walzer a d’ailleurs théorisé l’idée d’égalité complexe : l’erreur, selon lui, vient d’une trop forte focalisation sur la seule richesse matérielle comme unique dimension justiciable d’une politique égalitaire. Or, soutient-il, il existe plusieurs catégories de biens sociaux qui, pour des raisons historiques dans un pays donné, font l’objet d’une valorisation sociale partagée par un grand nombre de personnes : argent, pouvoir politique, responsabilité professionnelle, reconnaissance universitaire, honneurs publics, ou, éventuellement ajoutons-nous, l’identité culturelle. Il existe donc plusieurs « sphères de justice » possibles, répondant chacune à des critères spécifiques de répartition, et il est impératif de proscrire toute confusion entre ces critères (utiliser sa richesse économique pour obtenir un pouvoir politique ou une distinction honorifique intellectuelle par exemple).
En ce qui concerne la France, il est souvent avancé, peut-être pour se rassurer, que les questions d’identité culturelle ne relèvent que de problèmes d’intégration socio-économique mal réglés. C’est une hypothèse loin d’être vérifiée. Michaël Walzer part d’un autre constat : toutes les sociétés démocratiques développées évoluent plus ou moins vers une certaine hétérogénéité culturelle. Prenant au sérieux la question des identités culturelles sous la réserve expresse qu’elles satisfassent aux impératifs du respect de la Constitution, des droits de l’homme et des acquis universels des sociétés démocratiques , Walzer défend l’idée d’une reconnaissance publique de la multiappartenance culturelle. Il s’agit de faire droit au pluralisme culturel, de l’inscrire donc dans la pratique des institutions ; de fournir les moyens de la reconnaissance et de l’expression d’autres appartenances culturelles aux côtés de celle dominante, pour les citoyens qui le souhaitent. Ce serait l’orientation la plus juste pour éviter que l’arasement des identités minoritaires n’engendre l’enfermement communautaire ; pour consolider ainsi le lien social sur une base plus conforme à l’évolution des réalités sociales et culturelles.
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